Si « évasif » peut se comprendre comme éluder les difficultés en restant dans l’imprécision, l’attente, une certaine passivité, cela entre en dissonance avec destin qui laisse supposer qu’aucune de nos actions puisse modifier le cours de notre vie. C’est pourquoi le qualificatif « contrarié » peut nuancer ces propos et assouplir cette vision fataliste.
Laisser traîner son regard dans les rues, surtout des grandes villes, offre, à qui sait saisir l’instant présent, l’opportunité de croiser ces morceaux d’espace, de temps et de vie.
L’appareil photo et, aujourd’hui, le photophone peuvent être les outils d’un jeu à plusieurs. Espérons, qu’il s’agisse bien d’un jeu à somme nulle. A ces gens de et dans la rue, anonymes, ignorés et souvent évités, ce jeu peut les faire sortir de l’ombre, leur offrir l’avant de la scène, les reconnaître.
C’est une démarche personnelle et volontairement inclusive que je porte. Trop de gens ne voient pas « ces gens-là ».
Le thème « Destins évasifs versus destins contrariés » compile des photos glanées dans différents coins du monde, à différentes périodes, avec des appareils, tous numériques. La plupart du temps, ces photos sont le fruit du hasard : les personnes photographiées sont noyées dans la foule, agitée et pressée, alors qu’elles restent immobiles, parfois figées dans des postures inconfortables, contraignantes, évoquant soumission ou fatalisme.
Ce qui est fascinant, c’est l’échange de regards entre la personne et le photographe (« Chacun a sa place », « S’amarrer pour rester à quai »). Cet instant a quelque chose de magique malgré son côté éphémère. Si cela s’y prête, cela peut déboucher sur un échange où l’écran de l’appareil sert d’objet facilitant la conversation qui s’en suit.
Certaines de ces personnes ne regardent pas ni ne recherchent le contact soit par leur posture (« La face au mur, », « A comme Anarchie », « Petits cœurs s’abstenir », « Pause-café », « La cigale et la fourmi »), soit par leur occupation (« Petits, petits, … », « Quand il y en a pour un … », « Rester au chaud »), soit, encore, parce qu’elles sont plongées dans leur pensée (« Pas si Anonymous que çà », « La femme aux bracelets », « L’enfant à la pastèque ») .
Les gens dans la rue n’ont pas nécessairement fait le choix de s’y retrouver et d’en subir les aléas. Il leur faut toutefois du courage, de l’abnégation pour survivre. Cela force le respect.
La sélection de photos souligne aussi que, même si on (sur)vit dans la rue, on n’y est pas seul. Des contacts se nouent, des échanges se prolongent (« Chut, ne le dites à personne », « La bande des quatre » car le chien en fait partie, « Echec et mat sous la chaussée », « Shopping addict », « Nanesse et ses Tchantchès »).
D’une ville à l’autre, ce sont les femmes qui occupent le parvis de l’église, les voies de Venise, les grandes artères de Paris ou Madrid (« La femme de Venise, la plus belle de ville du monde », « Voir Venise et puis se nourrir ! », « Por favor, … Obrigados a todos », « Petits cœurs s’abstenir !»).
Et puis, il y a ces naufragés de la vie, qui ne peuvent nous laisser indifférents, qui nous rendent perplexes face à nos sociétés « modernes » (« Arrêt de bus ou arrêt de vie », « See yourself in the rain », « Smoking’in the rain », « A contre-sexe : F -H -X », « Vie de chiens, Chienne de vie »). C’est là que la violence sociétale s’exprime sans pitié.
Petit clin d’œil, encore : voici un extrait d’une peinture d’Emile FRIANT (1863 – 1932) La Toussaint (1889), photographiée au Musée des Beaux-Arts de Nancy qui, construite comme un instantané photographique, montre le mendiant tendant sa sébile, le cadre contre le ventre, les mains l’une contre l’autre. Autant de gestes, d’attitudes que vous pouvez retrouver dans la sélection.